AU SOMMAIRE
Dans ce numéro nous partons au Niger, sur l’invisible frontière de l’Europe. Depuis que l’Union européenne s’est mis en tête de tarir les flux migratoires à la source, les portes du désert sont devenues celles de la clandestinité. Et puis nous déambulons à Marseille, dans les quartiers nord, où le terrain est fertile pour que le trafic fleurisse. Misère, ghettos, relégation sociale : caïds et petits frères peuvent-ils seulement y échapper ? Nous partons à la rencontre d’indociles serviteurs de l’Église. Face à la loi du silence qui étouffe les affaires d’agression sexuelle, briser l’omerta est devenu un chemin de croix. Et puis nous nous intéresserons au FMI, cette institution honnie. En juillet, sa présidente, Christine Lagarde prenait ses cliques et ses claques. Dédiabolisation accomplie ? En prime, une enquête sur Emmaüs et ses milliers de compagnons qui triment à l’ombre de l’abbé Pierre.
ÉDITO
Une économie à visage humain, des institutions le cœur sur la main. Tandis que les sociétés se morcellent sous le poids des inégalités, que l’âpreté de millions d’existences se fait criante, des acteurs vont au-devant des plus désespérés. Il y a les pionniers, ces associations qui depuis des décennies ouvrent les bras à ceux, fragiles et abîmés, que la croissance et le progrès ont laissés de côté. Pour leur trouver une place, Emmaüs, la grande œuvre de l’abbé Pierre, fait office de soupape. Ni charité ni assistanat, chaque communauté est supposée, en prônant la dignité par le travail, participer d’un vaste projet social. « Social », le mot a fait son apparition là où on l’attendait moins, à Washington, dans une institution honnie pour ses impitoyables cures d’austérité : le Fonds monétaire international. Ces dernières années, sous le mandat de Christine Lagarde, le temple du néolibéralisme s’est démené pour donner des gages d’empathie et d’humanité. À des milliers de kilomètres de là, aux portes du Sahara, la même « humanité » justifie des politiques d’aide au développement censées dissuader les candidats à l’exil. Vu de Paris ou de Bruxelles, il suffit, pour sauver des vies, de délocaliser le tri entre « réfugiés » et « migrants » aux portes du Sahel. Exil, misère, exclusionà pour tous ces maux, les mêmes remèdes : de belles valeurs brandies comme des totems. Et si celles-ci permettaient de ne jamais s’attaquer aux racines du problème ? Gratter cette couche de vernis, faire voler en éclats les artifices de la bonne conscience est une nécessité, celle, dérangeante mais salutaire, de la lucidité.